« Where is mommy ?
-Léandre, mon petit, parle en français s'il te plaît. Je te l'ai déjà dis. En français, d'accord ? ».

Je hoche la tête pendant que la gentille dame aux cheveux gris m'ajuste doucement mon bonnet sur ma tignasse brune désordonné. Mon petit sac contenant toute mes affaires est déjà sur mon dos alors que je serre Noa, mon ours en peluche, contre moi. J'ai peur. Ma petite menotte dans celle de la dame, j'avance en essayant de suivre ces pas. Il y a des gens à quelques mètres de nous. La dame sourit, elle semble heureuse, émue, mais le monsieur.. il me fait peur. Il n'a pas le sourire de « ma nouvelle maman » comme dit la gentille dame aux cheveux gris. Il a ses yeux posé sur moi, il me fixe froidement. Je ne veux pas y aller.

« Bonjour Léandre, je m'appelle Candice et le monsieur là, c'est Fillip » me dit la dame en s'agenouillant devant moi. Je la dévisage de mes grands yeux bleus d'enfants. Elle est belle. Elle me fait penser à maman. Mais quelque chose est différent. La dame, elle a les cheveux jaune clair, pas ma maman. Ma maman, elle avait de jolis cheveux noir. Comme moi.

~ ~ ~ ~

Je me réveille en sursaut. Putain ! Encore ce rêve. Je le fais souvent quand arrive ce jour. Celui où j'ai trouvé une nouvelle famille. Ouais, je suis un gamin adopté mais bien que pendant mon adolescence, ça m'a posé problème, aujourd'hui je l'assume plutôt bien. Comme tous les gamins, à cet âge, j'ai été plutôt rebel. Mais qui ne l'est pas ? L'adolescence, c'est LA période. Celle de toutes les folies. Certains tournent mal, très mal même. La drogue et l'alcool, par exemple. Pas moi. J'étais plus le genre de gosse à mal parler, m'énerver pour rien et me battre. Mais je ne touchais pas à la drogue. D'ailleurs, mon père m'aurait collé une sacré dérouillée si ça avait été le cas.

Mon père, parlons-en.

Nos relations sont légèrement tendues depuis quelques années. Je me rappelle qu'à notre première rencontre, il me faisait peur, sacrément peur d'ailleurs. Il avait un regard de glace avec des yeux aussi profonds que les miens. Au début, c'était plutôt compliqué. L'arrivée d'un enfant âgé de cinq petites années, qui n'est pas le vôtre qui plus est, dans une famille qui n'arrive pas à concevoir un enfant de façon biologique, c'est toujours compliqué. Je crois qu'il ne m'acceptait pas à l'époque. Sûrement qu'il n'arrivait pas à me voir comme son fils. Il a fallu quelques années et une bonne grosse frayeur pour que ça change. Un accident. C'est si vite arrivé. Et pourtant, ça change une vie. Après ça, nos relations ont évolué, se sont nettement amélioré jusqu'à l'annonce de ma sexualité qu'il a qualifié comme de « débrider ».

Fillip est plutôt un traditionaliste dans l'âme.

Les hommes, ça aiment les femmes.

Les femmes, ça aiment les hommes.

Les hommes, ça n'aiment pas les femmes et les hommes en même temps.

~ Sorry dad, I love guys, I love girls, it's my life ! ~

Étonnement, ma mère elle l'avait déjà compris. J'ai été son petit miracle quand je suis arrivé dans leurs vies. Un petit miracle brun, les cheveux tout ébouriffés, avec de grands yeux bleus. Un petit miracle abandonné par son père alcoolique et violent après qu'il ai battu sa femme à mort. L'avait-elle cherché ? Peut-être bien. Peut-être pas. Tromper son mari alors que celui-ci ne vous offre plus aucune considération, plus d'amour ou de tendresse, fait-il un bon motif pour mourir ?

Je me suis posé cent fois la question.

Mille peut-être. Et jamais je n'ai eu de réponse.

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« Candice, where is mommy ?
- Léandre, mon chéri, je ne comprends pas quand tu parles en anglais. »

Candice me caresse les cheveux doucement, avec amour. Comme maman elle fait avant de me mettre au dodo. Mais maman, elle est pas là. Elle me manque, beaucoup. Je sais que je dois parler en français, mais je n'y arrive pas. C'est dur pour moi. Maman, elle parle pas en français. Papa non plus. Eux, c'est toujours anglais. Sauf quand papa crie après maman. Là je crois que c'est du français. Il dit des mots méchants et maman elle pleure. J'ai peur ces soirs là quand maman elle pleure et demande à papa d'arrêter parce qu'elle a mal. Fillip, il est pas comme ça. Il fait des bisous à Candice et elle sourit. J'aime la voir sourire, elle est belle quand elle le fait. J'aime aussi l'entendre rire. J’aime aussi quand elle me chatouille pour me faire rire. Mais ce que j’aime par dessus tout, c’est quand elle me prend sur ses genoux pour me faire des câlins. Elle sent bon, ma nouvelle maman.

Mais je veux ma première maman. La vraie.

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J’ai eu malgré tout, une enfance correct et plutôt heureuse. Dans le fond, je crois que si je n'avais pas autant de haine envers mon géniteur, je pourrais le remercier de m’avoir abandonné ce soir là, devant cet orphelinat. Mais je me suis toujours promis de venger ma mère. Cette mère qui a tout fait pour me protéger des coups de cet abomination qu’il était. De cet alcoolique au coeur dur.

Elle s’appelait Grace.

Il m’a fallu quelques longs mois pour que Candice devienne « Maman ». Au début, c’était dur. Inconsciemment je devais penser que je la reverrai un jour. Mais, bien évidemment, jamais ça ne s’est produit. Enfin, pas exactement. Pas comme je l’aurais voulu. Je l’ai revu, mais quand ça s’est produit, j’étais debout,tenant une rose rouge, alors que devant moi se trouvait une tombe au nom de Grace Hayley Camron.

J’avais douze ans.

Depuis ce jour là, j’essaie d’y aller une fois par mois. Pour m’y recueillir. Pour lui parler également. Pour ne pas qu’elle pense que je l’oublie. C’est stupide, mais c’est ainsi. Quand j’étais gamin, Candice me parlait beaucoup de Grace. Elle ne voulait pas que je l’oublie, elle aussi. Mais jamais nous avons parlé de Matthieu, mon géniteur, pas une seule fois jusqu’au jour où j’ai regardé Candide et de mon regard le plus sérieux, je lui ai affirmé que je le ferai payer pour ce meurtre.

~ ~ ~ ~

« Léandre calme toi mon chéri. C’est la colère qui parle. Ce n’est pas toi. Je sais que tu lui en veux. Je sais que tu aurais préféré qu’il reste derrière les barreaux, mais aller le voir est une mauvaise idée. Il a payé pour son crime. Laisse le vivre le reste de sa misérable vie.

- Maman, comment peut-on laisser un monstre tel que lui en liberté. Il faut quoi pour que les gens se rendent contre qu’il n’est noirceur ? Une autre femme battue et morte entre ses mains ? Un autre gamin qui n’a rien demandé abandonné devant un orphelinat ?  

- Léandre, je sais. Je comprend tout ça. Je sais que tu lui voue une haine sans nom et je comprends. C’est normal. Mais ta vie n’a-t-elle pas été plus heureuse avec nous ? Aurais-tu préféré vivre avec cet alcoolique violent ?

- Non.. Tu as raison mais, depuis qu’on a su qu’il allait sortir de prison je n’arrête pas de le voir dans mes cauchemars. Je pense même que c’est plus des souvenirs. »

Cet enfoiré de Matthieu est sorti de prison le jour de mes vingt ans. Quatre ans. Quatre ans que j’attends le jour de me retrouver en face de cette ordure. En attendant, je travaille chez un photographe et je dessine tout en continuant mes études de médecine. Allier passion et boulot, quoi de mieux ? Candice, enfin en mère, m’a transmis sa passion pour les photos et d’après elle, je tiendrai mon talent du dessin de Grace.

Candice disait toujours quand j’étais gamin : « Ta maman Grace vivra toujours au travers de tes dessins, mon ange. Ne l'oublie jamais ».

J’aime croire à cette idée.